Si l'islam fait partie de la Suisse, comme l'affirme le conseiller fédéral Beat Jans...
- ASVI
- 6 avr.
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Dernière mise à jour : 8 avr.
L’absurde déclaration de Beat Jans dénote une méconnaissance de l'histoire.
par Kacem El Ghazzali, essayiste helvético-marocain
paru dans Schweizer Monat du 18 mars 2025 - Traduction ASVI
En participant à la rupture du jeûne de la Fédération des organisations islamiques faîtières de Suisse, le conseiller fédéral Beat Jans a donné un signal fort. « C'est avec plaisir que j'ai participé hier soir à la rupture du jeûne », a-t-il écrit sur X, ajoutant un chaleureux « Ramadan Mubarak ». Ce geste mérite d'être salué car c’est celui d’un homme d'Etat qui fait preuve de respect pour les coutumes religieuses d'une partie de la population.
Mais Jans a ensuite ajouté une phrase lourde de signification: « L'islam en tant que religion fait partie de la Suisse, et vous en tant qu'êtres humains aussi ».Que les musulmans, en tant que citoyens suisses, fassent partie de la Suisse ne fait aucun doute (…). Mais dire que l'islam fait partie de la Suisse pose problème.
Que signifie en effet « faire partie de » ? S'agit-il d'un enracinement historique, d'une présence démographique, d'une intégration institutionnelle, d'une empreinte culturelle ou d'une compréhension collective de soi ?
Un signalement de vertu politique
Paradoxalement, ceux qui soulignent la diversité de l'islam et rejettent son essentialisation sont souvent les mêmes qui déclarent son appartenance en bloc à notre pays. Celui qui souligne que « l'islam » en tant qu'entité monolithique n'existe pas, ne devrait logiquement pas faire de déclaration globale sur son appartenance. Cette contradiction révèle la dimension politique du débat et un double jeu tactique. Si l'islam est critiqué, on le défend contre la critique en faisant référence à sa diversité. En revanche, quand il s’agit de le valoriser, on se permet d’affirme son appartenance en bloc à la Suisse. Cela n’est rien d’autre que du signalement de vertu consistant à afficher sa tolérance.
La formule «l'islam fait partie de la Suisse» est historiquement fausse: la Suisse n'a pas été marquée par l'islam, mais par le christianisme et plus tard par les Lumières. Celles-ci ont façonné des valeurs centrales telles que la laïcité et la liberté individuelle. Dans certaines de ses manifestations, l'islam apporte des idées - par exemple un lien particulièrement fort entre la foi et le droit - qui entrent en conflit avec cette tradition. Si l'islam fait partie de la Suisse, l'interdiction de l'apostasie fait-elle aussi partie de la Suisse ? La peine de mort pour apostasie ? L'inégalité entre hommes et femmes en matière de droit des succession ?
Ou parle-t-on d'un islam « à la carte », qui n'existe que dans les séminaires universitaires occidentaux, où la déconstruction permet même de créer un islam favorable aux LGBTQ+? L'islam «européen» construit dans les feuilletons et les colloques sur les études genre a souvent peu en commun avec la réalité de la vie dans les pays majoritairement musulmans ou dans les sociétés parallèles européennes. Il s'agit d'un islam apprivoisé et théorisé qui est instrumentalisé à des fins politiques. On veut un « islam light » - sans charia, sans séparation des sexes, sans homophobie - et on prétend ensuite que cet islam appartient à la Suisse. Mais cet « islam light », une construction mentale occidentale, est rejeté par la majorité des autorités islamiques dans le monde.
Une curieuse conception de la liberté de croyance
La formulation de Jans n'était pas un simple faux pas irréfléchi. Son département l'a justifiée dans le « Tages-Anzeiger » comme un « engagement pour la liberté de croyance ». Il s’agit là d’un grave malentendu. La liberté de religion garantit la pratique individuelle de la foi, rien de plus.
Si le simple fait d'exister sur le sol suisse était déjà un critère suffisant d'appartenance, alors
toutes les coutumes, religions et visions du monde pratiquées ici feraient nécessairement partie de l'identité suisse, et celle-ci ne voudrait plus rien dire.
(…)
Source : Schweizer Monat